L'autre jour je me baladais en toute innocence sur Ebay Avenue,
nommée aussi Boulevard des Tentations, tentations auxquelles nous
savons résister car nous sommes de vrais hommes, adultes responsables,
sachant raisonner et se maîtriser. Mais en vérité peut-on réellement
parler d'innocence lorsqu'on se dirige vers ce lieu que l'on connaît
déjà comme étant fréquenté aussi bien par des suissesses que des
grec(que)s ou des brésiliennes, ce lieu où se côtoient sans complexe
le Bien et le Mal, où la frontière entre l'enfer et le paradis
est si ténue, fluctuante, et comme volontairement plongée dans
un brouillard si épais que les voyageurs les plus aguerris y perdent
leurs repères quand ce n'est pas leur chemise. Le temps était
doux, l'humeur badine, les soucis relégués à plus tard, et une
petite promenade ne pourrait que terminer agréablement une après-midi
somme toute assez banale... banale, voilà une fissure invisible
par laquelle pourrait s'engouffrer le Mal à mon insu, sous le
prétexte de rendre cette journée moins banale; mais l'humeur n'était
pas à remâcher des idées d'insécurité et à construire des stratégies
de défense, que l'on sait par ailleurs complètement vaines sans
se l'avouer, car si on se l'avouait, on n'irait jamais se promener
l'air de rien et le nez en l'air sous le prétexte fallacieux de
juste regarder et s'informer. Pour être tout-à-fait complet je
dois ajouter un fait aggravant qui aurait dû m'alerter: je m'étais
muni d'une coupure de cent dollars toute neuve, presque machinalement
et en feignant de l'ignorer.
* *
J'arpentais
donc l'avenue d'un pas souple et léger, laissant traîner mon regard
ça et là sans arrière-pensée ou presque, dans un état d'esprit
inverse de celui de l'accro en manque qui recherche fébrilement
et à tout prix l'objet du passage à l'acte qui calmera son anxiété.
Au détour d'une ruelle, je tombe sur une petite Movado, d'allure
simple et aux aiguilles d'une finesse émouvante; son protecteur
est uruguayen, ce que je trouve aller très bien avec la consonnance
ibérique de son nom. Je jette un regard blasé sur son tarif, aux
alentours de 75$, ça paraît très raisonnable mais, bon, on n'est
pas là pour rigoler, on est là pour se promener.
A près une dégustation de crêpes dans le quartier, je me rends
compte presque par hasard (mais est-ce vraiment le hasard) que
je me retrouve sur la grande Avenue et que (encore le hasard)
ma petite urugayenne ne sera plus libre dans moins de trois minutes;
en mettant ma main dans la poche, mes doigts rencontrent la coupure
de cent dollars évoquée plus haut, et je me dis qu'il serait dommage
de ne pas s'offrir une petite satisfaction somme toute très raisonnable
avant d'aller se coucher, même si l'objet convoité semble avoir
quelques marques d'usure. Bon, allez, reste vingt secondes, je
pose mon billet sur le comptoir disposé à cet effet et où, je
dois le dire, se presse une foule plutôt clairsemée; mais quel
plaisir d'être celui qui l'emporte à cinq secondes de la fin !!!!
* *
Evidemment, une fois passée cette satisfaction éphémère, une
certaine lassitude se fit sentir, teintée de la culpabilité de
ne pas avoir su maîtriser une CHI
(Compulsion Horlogère Impulsive) qui s'était avancée masquée
et à pas de loup, avec toute la fourberie qu'on lui connaît. Aucun
signe avant-coureur, à moins que je n'aie pas voulu les voir (ce
qui est possible), un petit instant de détente et paf! ça vous
tombe dessus.. mais sans violence, sans douleur, d'une façon très
naturelle et finalement assez agréable.
* *
La suite a été un peu moins fluide, les transactions
avec l'Uruguay sont un peu plus difficiles qu'avec les Etats-Unis:
ce qui prend moins d'une semaine avec les US en prend cinq avec
l'Uruguay, il faut le temps que le mandat de BidPay arrive chez
le vendeur et que le colis fasse son périple. Un colis
très bien fait, d'ailleurs, peut-être que le vendeur
a l'habitude d'une poste un peu brutale... La montre qui n'avait
pas l'air de première fraîcheur s'est révélée
très douteuse du côté du boîtier qui
a manifestement subi diverses violences, mais la vue de face reste
très agréable. Après quelques remarques à
mon vendeur, celui-ci me propose un remboursement, mais vu la
valeur de l'objet je décline l'offre et lui balance quand
même une note neutre sur Ebay, indiquant simplement qu'il
aurait pu faire une description plus objective de l'objet; outrage
majeur sans doute, puisqu'il en fait de même à mon
encontre avec un commentaire un peu désagréable.
Il faut savoir en effet qu'avec ce système de notation,
la règle c'est oeil pour oeil, dent pour dent. Je
ne sais pas comment il devrait être, peut-être qu'on
ne devrait pas pouvoir voir la notation que l'interlocuteur a
mise avant d'en avoir mise une soi-même, pour éviter
l'influence du commentaire de l'un sur le commentaire de l'autre.
Ceci dit, j'ai eu deux vendeurs US qui m'ont noté positif
avant même que j'ai reçu le paquet et donc que j'ai
fait mes commentaires; peut-être était-ce pour me
mettre dans de bonnes dispositions dès le début
;-)
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